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Details

Le journal d’opposition Le Charivari propose à sa « une », le 27 février 1834, un calligramme dont le sens n’échappe à personne : en retranscrivant sous une forme de poire la condamnation pour délit de presse dont il vient d’être victime, c’est au pouvoir royal que le journal s’en prend.
Voilà plus de deux ans que le motif de la poire est utilisé par les adversaires de Louis-Philippe 1er. La paternité de la charge revient à Charles Philipon qui, pendant l’audience d’un procès en cour d’assises (14 novembre 1831), a griffonné une série de quatre croquis représentant l’imperceptible mais frappante métamorphose du roi en poire. Honoré Daumier a ensuite redessiné l’ensemble, qui a paru dans La Caricature.
L’élan est alors donné : des centaines de poires ornent les lithographies, sont reprises dans les refrains des chansons. Sur les murs de Paris, des poires sont hâtivement tracées par des mains anonymes. En juillet 1833, pendant un banquet patriotique qui marque l'anniversaire des Trois Glorieuses dans le Loir-et-Cher, trois jeunes gens placent avant le repas les poires du dessert auprès du buste de Louis-Philippe ; elles sont retirées ; plus tard, l'un des trois place une poire au milieu des branchages de table et la coiffe d'un drapeau.
Un corps ou une face en forme de poire – partie haute étroite, partie basse bouffie –, dénote une impuissance politique mais aussi sexuelle. Selon l'historien de l'art J. B. Cuno, la poire-corps évoque un « fat-ass ». Le corps indigne du roi bafoue l'honneur de la nation.
Si l’usage politique de la poire domine le terrain graphique, il est impossible de jauger précisément les effets des attaques, d'autant que les messages sont sujets à divers brouillages. La loi sur la presse du 9 septembre 1835 met en tout état de cause un coup d'arrêt à cette histoire. L'article 18 stipule qu'« aucun dessin, aucunes gravures, lithographies, médailles et estampes, aucun emblème, de quelque nature et espèce qu'ils soient, ne pourront être publiés, exposés ou mis en vente sans l'autorisation préalable du ministre de l'intérieur à Paris, et du préfet dans les départements. » Les contrevenants seront désormais jugés par des tribunaux correctionnels et non plus aux assises. Plusieurs numéros du Charivari paraissent jusqu'à la fin 1835 sans lithographie, uniquement composés de texte, quelques-uns avec une page blanche.



Transcription

On February 27, 1834 the opposition newspaper Le Charivari presented a ‘calligram’ (an image made up of text) whose meaning was inescapable. The newspaper transcribed the notice of its condemnation for publishing material critical of the crown into the form of pear . For more than two years, the pear motif had been used by opponents of Louis-Philippe. The originator of the subversive thought was Charles Philipon, who, during a trial in the Assize Court (November 14, 1831), dashed off a series of four sketches representing the imperceptible but striking metamorphosis of the king into a pear. Honoré Daumier then redesigned the ensemble, which appeared in La Caricature. The image took off: hundreds of pears adorned lithographs and caricatures and were repeated in the choruses of songs. On the walls of Paris, pears were hastily sketched by anonymous hands. In July 1833, during a patriotic banquet marking the anniversary of the Three Glorious Days in the Loir-et-Cher, before the meal three young people placed the dessert pears near the bust of Louis-Philippe. They were removed; later, one of the three placed a pear in the middle of the table amid branches and with a flag for a headdress. A body- or pear-shaped face – with a narrow high part, and a low extended part - denoted both political and sexual impotence. According to the art historian J. B. Cuno, the pear-body evoked a "fat-ass". By association, the unworthy body of the king was represented as violating the honor of the nation. The political use of the pear dominated the graphic terrain but it is impossible to gauge precisely the effects of the attacks, especially as the images were subject to various forms of interference. The Press Law of September 9, 1835 put a stop to this story. Article 18 stipulated that "no drawing, no engravings, lithographs, medals and prints, no emblems, of any nature or species, may be published, exhibited or offered for sale without the prior authorization of the Minister of the Interior in Paris, or from the Prefect in the ‘departements’. Offenders were now to be dealt with by correctional courts and no longer in a formal trial. Several numbers of Charivari appeared until the end of 1835 without lithography, only composed of text, but some also featured a blank page!