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Transcription

Après dix ans d’échec devant les tribunaux, la Préfecture de Police de Paris obtient enfin, le 24 avril 1840, la condamnation des animateurs de la goguette L’Enfer. Pour la première fois, des magistrats refusent de voir dans une goguette un simple rendez-vous d’amis auxquels assistent des consommateurs du débit de boisson où ils se retrouvent, mais constate qu’il s’agit bien d’une association illicite. Fort de ce succès, la surveillance de la police devient systématique, les sociétés doivent être déclarées, à chaque réunion un agent est présent pour vérifier que ni la loi ni l’ordre ne sont enfreints et les chansons séditieuses peuvent ainsi être facilement poursuivies. Si certaines sociétés chantantes acceptent sans trop rechigner cette mise au pas, d’autres la refusent : leurs membres ne déclarent pas leur association, continuent à se réunir à l’abri des regards policiers, changent régulièrement de lieu de rendez-vous et font entendre de nombreux refrains séditieux très largement influencés par la propagande républicaine et socialisante. La goguette des Animaux, présidée par Charles Gille, a certainement été la meilleure représentante de ce courant. Créée justement au début des années 1840 elle pouvait réunir jusqu’à 500 à personnes, essentiellement des hommes de milieux très populaires - les femmes pouvaient participer aux réunions, mais pas diriger la société - les membres y étaient appelés par le nom d’un animal - Charles Gille était « le moucheron » -, le président des séances rappelaient à l’ordre les participants trop turbulents en invoquant le nom d’un célèbre dompteur de l’époque… Par-delà ce rituel typique des sociétés chantantes, ces assemblées étaient un lieu d’élaboration d’une chanson militante où les revendications sociales et démocratiques se faisaient souvent entendre. Charles Gille (1820-1856) était l’animateur incontesté de cette société. Il entra en apprentissage à l’âge de 12 ans chez un coupeur de corsets. Très tôt il fréquenta des goguettes où il rencontra un certain succès avec des chansons qui furent ultérieurement assez largement diffusées, écrivit plusieurs couplets partisans et créé la goguette des Animaux qui incarna durablement la « goguette militante » opposée aux sociétés apolitiques, comme celle des Insectes que préside Émile Durand de Valley, avec laquelle il engage de nombreuses polémiques en 1843, les adeptes des deux sociétés en venant même parfois aux mains. Les convictions républicaines et sociales des membres des Animaux ne tardèrent pas à attirer l’attention des services de police, un sergent de ville en civil fut même chargé de suivre Charles Gille. Les 8 et 29 janvier 1847, un commissaire dispersa la goguette qui se tenait rue de l’Ours. Des chansons qui semblèrent « avoir une couleur politique assez hostile » furent saisies, le 8 mai, Gille comparut en correctionnel en compagnie des autres membres du bureau des Animaux : ils furent condamnés à des peines de deux ou trois mois de prison et à des amendes. Lors des journées de février 1848, Gille combattit sur les barricades, multiplia, avec un certain succès, les refrains engagés et participa à tous les recueils des auteurs de la gauche républicaine ou socialiste, notamment La Voix du peuple ou les républicaines de 1848 et le Républicain lyrique. Il y fit preuve d’une forte sensibilité sociale – Les Mineurs d’Utzel –, d’une évidente sympathie pour les insurgés de juin 1848 - Les Tombeaux de juin –, d’une très forte antipathie pour la bourgeoisie – La République bourgeoise, La carte à payer - et d’une violente opposition à Louis-Napoléon Bonaparte – Les Trois chapeaux. Son amitié pour Marc Caussidière, lui permet même de devenir lieutenant de la garde nationale. Sous l’Empire il vit dans le plus grand dénuement et se suicide par pendaison le 24 avril 1856.

Translation

After ten years of failure before the courts, the Paris Prefecture of Police finally obtained, on April 24, 1840, the condemnation of the animators of the ‘goguette’ L’Enfer. For the first time, magistrates refuse to see a goguette as a simple meeting place for friends attended by unconnected consumers of the drinking establishment where the society met, identifying it as, indeed, an illicit association. With this success, police surveillance became systematic, societies had to be declared, at each meeting an agent was present to verify that neither the law nor the order are broken, and this ensured that seditious songs could be easily prosecuted. If certain singing societies accepted this step without too much reluctance, others resisted: their members did not declare their association, they continued to meet away from police eyes, they regularly changed the place of meeting, and they composed and sang many seditious refrains, largely influenced by republican and socialist propaganda. The goguette des Animaux, chaired by Charles Gille, was certainly the best representative of this current. Created in the early 1840s, it might bring together upwards of 500 people, mainly men from very ordinary backgrounds – and although women could not manage the society they could participate in meetings. Members each had a nickname from the animal world - Charles Gille was "the gnat." In a ritual typical of singing societies, the chairman of the meetings called the participants to order when they were too rowdy by invoking the name of a famous lion tamer of the time. More importantly, these assemblies were a place for the development of activist songs voicing social and democratic demands. Charles Gille (1820-1856) was the undisputed leader of this society. He was apprenticed at the age of 12 to a corset cutter. Very early he frequented goguettes where he met with some success with songs that were later widely distributed, and he wrote several partisan verses and created the goguette d’ Animaux that enduringly embodied the "militant goguette." This was in contrast to the apolitical societies, like that of the Insects chaired by Émile Durand de Valley, with whom Gille engaged in many controversies in 1843, the followers of the two societies sometimes even coming to blows. The republican and social convictions of the members of the Animaux soon attracted the attention of the police, a city sergeant in civilian clothes even had responsibility for following Charles Gille. On January 8 and 29, 1847, a commissioner dispersed the goguette which met at rue de l'Ours. Songs which appeared to "have a rather hostile political color" were seized, on May 8, Gille appeared in court with the other members of the office of the Animals. They were condemned to terms of two or three months in prison and to fines. During the Revolutionary days of February 1848, Gille fought on the barricades, and successfully increased the number of songs in collections of the the republican and socialist left, in particular La Voix du Peuple or les républicaines de 1848 and le Républicain lyrique. Gille demonstrated a strong social conscience in his Les Mineurs d’Utzel; his Les Tombeaux de juin was an obvious expression of sympathy for the insurgents of June 1848; while La République bourgeoise and La carte à payer demonstrated a very strong antipathy for the bourgeoisie; and Les Trois chapeaux evidenced a violent opposition to Louis-Napoleon Bonaparte. His friendship for Marc Caussidière even allowed him to become a lieutenant in the National Guard. Under the Empire he lived in dire poverty and committed suicide by hanging on April 24, 1856.